Einar Kárason, Oiseaux de tempête

En février 1959, plusieurs chalutiers se trouvèrent pris dans une tempête hors-norme, pendant plusieurs jours, au large de Terre-Neuve. Certains en revinrent, d’autres non. C’est à partir de ce fait réel que Einar Kárason a imaginé…
À bord du Mafur, le commandant et une trentaine de marins remplissent d’abord les cales de sébastes, qui abondent dans ces parages, lorsqu’un froid glacial commence à recouvrir le bateau d’une gangue de glace qui l’alourdit dangereusement. Puis viennent les vagues énormes qui obligent à maintenir le chalutier face à elles coûte que coûte, sous peine de chavirer irrémédiablement. Pendant les rares moments où ils reprennent des forces, chacun des hommes pensent à celles et ceux qu’il a laissés à terre…

Décidément, ce voyage littéraire en mer nous fait faire de belles découvertes ! Il s’agit ici tout simplement du récit d’une tempête, récit imaginaire mais nourri, je l’imagine, de tradition orale, de documents, d’enquêtes… De nombreux extraits pourraient donner une idée de la puissance du texte, mais autant le découvrir par vous-même.
Malgré ou grâce à une chronologie un peu bousculée et des sortes d’apartés concernant l’un ou l’autre des marins, le texte se tient bien et ne lasse à aucun moment. Il permet d’assister à des scènes rares : le relevage d’un chalut plein à craquer, les lits de glace empilés alternativement avec les poissons, le remaillage des filets, le mouvement et le bruit incessants dans la couchette du jeune Larus, la fréquentation de la bibliothèque de bord, l’élimination par l’équipage de couches de glace qui se reforment aussitôt sur chaque partie du pont, et la tempête, bien sûr. Celle-ci génère des scènes puissantes, où tous les hommes se bagarrent avec les éléments sans prendre une minute de repos, où même le coq participe en cuisinant des quantités de viande réconfortante au plein cœur de la tourmente (au four, parce que les marmites se renversent !).
Ce qui change par rapport à d’autres récits marins c’est que l’entraide et la camaraderie ne sont pas des vains mots sur ce chalutier, et cela fait plutôt plaisir.
Il n’y a pas un mot de trop dans ce texte qui allie aventure humaine et belle écriture. Je n’oublie pas la traduction d’Eric Boury qui semble parfaite en tous points.

Oiseaux de tempête de Einar Kárason, éditions Grasset, 2021, traduction de Eric Boury, 160 pages.

Roman repéré grâce à Sacha !
C’est une lecture commune avec Sunalee et Fanja qui nous permet de participer à son Book Trip en mer et à l’activité sur le monde du travail d’Ingannmic.

Troub’s, Le Paradis… en quelque sorte (90 jours à Bornéo)

Un petit point géographique va peut-être vous être nécessaire, tout d’abord. J’ai découvert en préparant la lecture de ce livre pour le défi Asie du Sud-est, que Bornéo n’y figurait pas ! L’explication en est simple : Bornéo est une très grande île, de forme assez compacte mais divisée administrativement en trois parties : Brunei, Malaisie (Sarawak), Indonésie (Kalimantan)… Le voyage de Jean-Marc Troubet, dit Troub’s, au printemps 2005, se situe dans la partie indonésienne, en remontant le fleuve Mahakam depuis le complexe Total de Balikpapan où il est intervenu dans l’école, jusqu’aux petits villages en amont, de plus en plus isolés et traditionnels. La seule voie de communication et de transport étant le fleuve. Le long du fleuve, qui peut être très dangereux, avec des rapides, et des crues subites, s’échelonnent des villages de maisons sur pilotis, avec de grandes maisons communes aux piliers de bois sculptés, et de petites églises peu entretenues.
Les dialogues sont difficiles entre l’auteur et les habitants, la plupart issus de l’ethnie dayak. Peu d’entre eux parlent anglais et chaque région possède un dialecte, en plus de l’indonésien. L’auteur apprend avec un habitant quelques rudiments d’aoheng, pour communiquer un peu mieux, mais cela reste laborieux, et une certaine méfiance existe toujours envers cet étranger qui dessine. Les touristes sont peu nombreux, plus l’auteur remonte le fleuve, moins il en rencontre. Ce sont souvent des Asiatiques, de Java par exemple, qui se comportent comme s’ils étaient très conscients de leur supériorité.

Ce roman graphique comporte beaucoup de texte et c’est bien utile, pour qui ne connaît pas ou peu l’Indonésie, avec en alternance de belles grandes pages dessinées, sans texte… L’ensemble est agréable à lire, permet de pénétrer dans des régions encore assez éloignées de la « civilisation » contemporaine. La télévision est arrivée partout, et chaque soir les habitants se regroupent autour des deux ou trois téléviseurs du village, les groupes électrogènes vrombissent à toute heure du jour, mais dans les endroits où il n’y en a pas, ce sont les chiens et les coqs qui font du « barouf ». Autant dire que trouver le sommeil n’est pas l’aspect le plus simple de ce séjour. Pour l’alimentation, si on aime le poulet et le riz, ça ne semble pas trop compliqué !
Si vous êtes curieux, sans être sûrs pour autant de trouver le livre, vous pouvez feuilleter le carnet de croquis de l’auteur en Indonésie sur son site.

Le Paradis… en quelque sorte (90 jours à Bornéo) de Troub’s, éditions Futuropolis, 2008, 240 pages.

Le défi Littératures d’Asie du Sud-Est est organisé par Sunalee.

Hélène Gestern, 555

Tout commence par une partition ancienne cachée au fond de la doublure d’un violoncelle. Grégoire, ébéniste spécialisé en réfection d’étuis d’instruments anciens, le montre à son ami Giancarlo, luthier, qui va lui-même suggérer de la porter à Manig Terzian, une claveciniste réputée. Signée d’un D et d’un S, cette partition serait-elle la cinq cent cinquante-sixième de Domenico Scarlatti ? Mais voilà qu’à peine déchiffrée par la claveciniste, et avant même que les deux restaurateurs décident qu’en faire, la partition leur est volée avec deux violons de valeur. Un riche collectionneur, Joris de Jonghe, a eu le temps d’en entendre parler et met tous ses moyens, et ils sont nombreux, à la recherche de la partition.

Ce roman sur la passion de la musique se lit comme un polar, les questions qu’il pose sont nombreuses et les personnages à la poursuite de la partition, ayant chacun leurs tourments existentiels, l’imaginent un peu comme un moyen de s’en sortir.
Grégoire avec sa peine de cœur, Giancarlo son addiction au jeu et les ennuis financiers qui en découlent, Manig Terzian qui voit la fin de sa carrière s’annoncer, et pour Joris de Jonghe, un dérivatif pour sortir du deuil où il est confiné. J’oubliais Rodolphe Luzin-Fargues, un musicologue qui imagine sa carrière universitaire relancée par la découverte d’une partition inconnue.
C’est une quête pleine de vivacité et de rebondissements, de mensonges et d’émotions, avec des personnages plaisants à retrouver dans les chapitres qui leur sont consacrés.
Il y aussi le mystère qui plane autour d’un narrateur dont les chapitres intermédiaires en italique laissent à penser qu’il orchestre tout cela.
Et bien sûr, la musique a une part importante, par les quelques pages consacrées au compositeur italien, par de belles séquences d’audition ou de concert, par le soin infini apporté aux instruments par le luthier, ou par la spontanéité de jeu de la jeune Alice, la petite-nièce de la claveciniste.
Longtemps après la lecture de Eux sur la photo, je retrouve avec plaisir Hélène Gestern et son ingéniosité à faire parler les vieux documents, et à leur imaginer une histoire.

555 d’Hélène Gestern, éditions Arléa, janvier 2022, 448 pages. Sorti en poche (Folio).
Repéré chez Dominique et Keisha.

Celeste Ng, Nos cœurs disparus

Bird a douze ans et vit avec son père dans une cité universitaire, depuis que la mère de l’enfant les a quittés quelques années auparavant. Le roman commence lorsque Bird, appelé Noah à l’école, reçoit un dessin sibyllin qui le persuade que sa mère aimerait le revoir. Dans un pays régi par des lois liberticides visant particulièrement les Américains d’origine chinoise, la poétesse Margaret Miu, mère de Bird, était devenue, on apprend comment au fil du récit, symbole de l’opposition. Dans la première partie du roman, Bird se lance dans des recherches, où les bibliothèques vont jouer un grand rôle, ce qui est l’un des aspects sympathiques du roman. Un autre côté plaisant, si l’on peut dire, dans ce monde bien peu enviable, vient des actions de résistance pacifiques et artistiques à la fois, qui sèment le trouble auprès des autorités en leur montrant qu’ils n’ont pas réussi à annihiler toute opposition.

La deuxième partie du roman offre un point de vue différent et plus informé que celui de Bird, qui aurait pu faire passer le livre pour un (très bon) roman pour la jeunesse. Celeste Ng dresse un tableau terrifiant de ces lois intitulées PACT, nées d’une Crise économique majeure, et qui visent à sauvegarder la culture et les traditions américaines. Dit comme ça, cela semble anodin, mais elles restreignent terriblement les libertés, allant jusqu’à réécrire l’histoire destinée aux enfants des écoles, à supprimer de très nombreux ouvrages des bibliothèques, et à enlever à leurs familles les enfants des opposants pour les rééduquer. Rien de tel pour obliger les parents à mettre un terme à toute opposition avec le mince espoir de récupérer leurs petits.
Celeste Ng a créé un univers prenant qui serre souvent la gorge, sans avoir besoin d’en faire trop pour créer l’émotion. Il est impossible de ne pas s’identifier aux personnages et à leur lutte minuscule contre un état tout-puissant.
L’imagination des auteurs est toujours effrayante lorsqu’il s’agit de dystopie, mais donne aussi à réfléchir sur notre monde actuel et sur tout ce qui pourrait déraper et conduire à un futur aussi sombre. Avec toujours l’espoir que les signaux d’alerte émis par les auteurs auront quelque effet…

Nos cœurs disparus de Celeste Ng, (Our missing hearts, 2022) éditions Sonatine, août 2023, traduction de Julie Sibony, 528 pages.

Des avis très variés, de l’enthousiasme à la déception, chez Nicole, Brize, Delphine et Luocine.

Riff Reb’s, Le loup des mers

Une traversée de la baie de San Francisco va devenir pour Humphrey van Veyden, un journaliste gringalet, le début d’une terrible aventure. Après un naufrage dû à un épais brouillard, il est recueilli par un bateau de pêche au phoque, mais le capitaine Larsen refuse de dévier de sa route pour le reposer à terre, et l’engage donc plus ou moins comme mousse. Humphrey prend dès le début la mesure de la férocité de cet homme, et du manque d’empathie du reste de l’équipage. Certains se rebelleraient bien, mais Loup Larsen veille et ne laisse personne prendre le dessus sur lui. Seul maître à bord, sans Dieu, dans son cas, il initie toutefois avec quelque plaisir des discussions à teneur philosophique avec ce nouveau membre d’équipage intellectuel. Larsen a des méthodes bien à lui pour démontrer la véracité de ses idées, par exemple pour nier qu’il y ait quelque chose après la mort.

Pas de doute, cette BD entre parfaitement dans la thématique marine, avec naufrage, brouillard marin et tempête, querelles de matelots et tentative de mutinerie. Quelle histoire ! Dès le début, elle embarque le lecteur tel le malheureux critique littéraire enrôlé de force sur ce navire de pêche au long cours pour une traversée du Pacifique. Les dessins sombres, lugubres même, rendent parfaitement l’atmosphère de cauchemar qui prend possession du mousse improvisé, et le texte a des fulgurances d’une grande beauté. Manifestement, Jack London s’est focalisé sur Larsen et son absence absolue d’humanité et de morale, et ce, malgré une intelligence et une culture certaines. L’aspect « aventures en mer » n’est pas négligé pour autant avec les scènes de pêche, ou l’affrontement avec un autre navire dirigé par le propre frère de Larsen, son pire ennemi.
Cette rencontre entre la bande dessinée et la littérature est une réussite certaine !

Le loup des mers de Riff Reb’s, librement adapté de Jack London, éditions Soleil, 2012, 136 pages.

Le book-trip en mer, c’est chez Fanja.

Polars en vrac (11)

A l’approche des Quais du Polar lyonnais, une petite cure de romans noirs et polars s’impose. Voici donc mes lectures « de genre » de février et mars, avec des succès divers. J’en ai lu deux en version originale, mais ne passez pas votre chemin, car ils sont déjà traduits en français !

Commençons par un auteur dont j’affectionne l’écriture depuis la lecture de La constellation du chien. Ce fut, comme toujours, un plaisir de le retrouver dans une histoire policière assez mouvementée. Jack, déjà rencontré dans La rivière, a trouvé un job de guide de pêche pour quelques célébrités qui viennent se ressourcer dans un coin perdu du Colorado. Mais Jack se rend vite compte de détails bizarres, que ce soit dans le comportement du personnel ou dans l’aménagement des lieux. Même s’il déprime quelque peu, sa curiosité n’est pas totalement éteinte ! Beaucoup de thèmes se mêlent dans ce roman qui joue bien son rôle (de page-turner) sans être le meilleur cru de l’auteur.

Par une écriture immédiatement envoûtante, R. J. Ellory emmène les lecteurs dans le Nord du Canada, où des jeunes filles, sur plusieurs décennies, sont retrouvées mortes. Tout à leur peine, les familles acceptent la thèse d’une bête sauvage qui fait des ravages près des habitations. Seul Jack Devereaux, un enquêteur dans les assurances, revenu au pays, se pose des questions, d’autant plus que son propre frère se trouve parmi les suspects. Malgré ses qualités, notamment une superbe atmosphère, et des personnages complexes, ce roman comporte quelques longueurs et, à mon avis, ne révolutionne pas le genre.

Encore une ambiance hivernale pour ce quatrième roman de la série « Six versions » où Scott King, réalisateur de podcast, revient sur de vieilles enquêtes au travers du portrait de six personnages touchant de prèe ou de loin à l’affaire. Ici, il s’agit d’une jeune fille, trouvée morte de froid dans une tour, à l’orée du village où elle vivait, et était (très) connue comme créatrice de contenu sur Youtube. J’ai été prise par cette plongée très bien orchestrée dans les méandres d’un cold case, qui s’attaque aux thèmes de l’image, de la notoriété, de la jalousie, dans le domaine des réseaux sociaux.

Stanislas Kosinski vit dans une maison isolée, entourée de forêts et de garrigue, où il fréquente le moins d’humains possible et s’absorbe dans des travaux physiques pour éviter de ressasser son expérience traumatisante de militaire au Mali. Deux événements vont venir troubler sa tranquillité, l’installation d’une bergère sur un terrain limitrophe, et l’incursion de chasseurs qui tracent un chemin pour couper à travers ses terres. Dès lors, tout va déraper.
Si j’ai bien accroché au début du roman, le tournant pris ensuite, avec des incompréhensions totales entre les habitants du cru, même le maire, et Stan, m’a laissée plutôt indifférente et pressée d’en finir. L’écriture parvient presque à redresser la barre, et à faire croire à cette histoire, presque seulement.

Le quatrième volume des enquêtes de Sam Wyndham et son adjoint Banerjee se démarque des précédents par sa forme, qui alterne deux périodes et deux lieux, 1905 à Londres, avec le meurtre d’une jeune femme que Sam connaissait bien, et 1922, où il soigne sa dépendance à l’opium dans un ashram dans la région verdoyante de l’Assam. Des thèmes comme la montée du nationalisme indien, et le racisme, donnent beaucoup d’intérêt au roman, et le style de l’auteur entre toujours pour une bonne part dans le plaisir de lecture, ses comparaisons et formules humoristiques ne manquant pas d’alléger l’atmosphère.
Bien qu’un peu moins convaincant, au départ, que les trois premiers, peut-être à cause de l’alternance passé/présent, ou des personnages, le roman rebondit aux trois-quarts du texte. Un événement inattendu lui donne alors un nouvel élan. D’ailleurs, je conseille de ne pas lire des critiques trop détaillées qui en font part… Un bon roman, finalement !

Avez-vous lu ou pensez-vous lire certains de ces romans ?

Nathaniel Ian Miller, L’Odyssée de Sven

L’Odyssée de Sven porte bien son titre. En 1916, le jeune Sven mène à Stockholm une vie trop étriquée qui ne lui convient plus. Il a envie de plus que de rêver par livres interposés. Bien qu’attaché à sa sœur et à ses neveux, il répond à une offre de recrutement et se retrouve mineur dans le Spitzberg. Lui qui a toujours rêvé des grands espaces du Nord travaille sous terre, à enchaîner d’épuisantes et dangereuses journées. A la suite d’un accident, et d’une longue convalescence, il va s’éloigner plus encore vers le nord, y apprendre le métier de trappeur, et s’installer dans un fjord reculé.
En avançant dans le roman, on avance en solitude au fur et à mesure des aléas et et des choix de vie de Sven. C’est Sven lui-même qui mène le récit, et, en tant que narrateur, il n’est pas du genre à se glorifier de hauts faits ou à se mettre en avant. Sa modestie et son autodérision le rendent sympathique, ainsi que son intérêt pour les personnes qu’il rencontre. Il noue de belles amitiés avec McIntyre, un géologue écossais, avec Tapio, le trappeur finlandais socialiste, avec son compagnon canin, Eberhard, et n’oublie pas sa correspondance avec sa sœur et sa nièce préférée, Helga.

Ce qui apparaît assez rapidement à la lecture, c’est qu’il s’agit plus d’un roman d’apprentissage, et aussi sur la survie en milieu difficile (rappelant en cela Ermites dans la taïga) plutôt qu’un roman d’aventures. L’aventure est surtout intérieure, le questionnement stimulant proposé par l’auteur pourrait se résumer ainsi « Pourquoi et comment vivre seul dans une région aussi reculée ? ».
La solitude de Sven n’étant pas totale, les rencontres et les amitiés, les relations en tout genres, y tiennent une grande place. Je ne veux pas trop en dire, non plus !
Au final, une lecture aussi intéressante qu’enrichissante, à laquelle on peut faire une place si on aime la nature dans les régions froides, et l’humanité.

L’odyssée de Sven de Nathaniel Ian Miller, (The memoirs of Stockholm Sven, 2021), Buchet-Chastel, août 2022, traduit de l’anglais par Mona de Pracontal, 480 pages. Sorti en format de poche.

Nathaniel Ian Miller, éleveur dans le Vermont, est également diplômé en littérature et en biologie, et écrit pour plusieurs revues. En 2012, il a participé à la résidence Arctic Circle dans le Svalbard, nom actuel du Spizberg, et a découvert la cabane de Sven. Il s’est librement inspiré de l’histoire vraie d’un trappeur pour écrire ce premier roman.

Repéré grâce à Ariane.

Vassili Peskov, Ermites dans la taïga

Le journaliste Vassili Peskov est abordé un jour par des géologues qui ont découvert grâce à un vol en hélicoptère, puis rencontré, une famille de « vieux croyants » dans un endroit complètement reculé de la taïga. Ils se sont tenus éloignés de ce qu’ils nomment le « siècle », ils n’ont fréquenté personne depuis plus de trente ans, ne sont au courant ni des dernières avancées technologiques, ni de la seconde guerre mondiale. Leurs croyances les empêchent de plus de se nourrir de produits autres que ceux issus de leur potager, de la pêche ou de la cueillette. En 1982, Peskov rencontre le père, Karp Ossipovitch Lykov et sa fille Agafia. Il les revoit à intervalles irréguliers, les interroge et se lie d’amitié avec eux.

J’ai découvert ce récit passionnant dans la boîte à livres de mon village, et me suis rappelée l’avoir rencontré sur les blogs. Ce fut une lecture très enrichissante, je ne connaissais pas les « vieux croyants » et leur mode de vie très primitif m’a tout à fait fascinée. Le climat de la région de Sibérie, entre lacs Balkach et Baïkal, où ils vivent, est des plus rudes et inhospitaliers, passer de longs hivers sous la neige, et faire pousser des légumes au cœur d’une forêt un défi incroyable. D’autant qu’ils trouvent de plus le moyen de prier plusieurs heurs par jour, en plus de tout le travail physique imposé par leur survie. Quant au personnage central, Agafia, sa curiosité et sa bienveillance la rendent vraiment touchante et inoubliable. Elle vit d’ailleurs toujours dans la taïga où elle est née…
Le livre montre bien à quel point l’auteur s’est attaché aux membres de la famille qu’il a rencontrés, et le ton qu’il emploie pour son récit leur rend le plus bel hommage possible.

Ermites dans la taïga, de Vassili Peskov, éditions Actes Sud, Babel, 1992, traduction de Yves Gauthier, 300 pages.
Repéré chez Keisha et lu récemment par Sandrion. J’ai déjà en ligne de mire Des nouvelles d’Agafia qui se trouve à la médiathèque.

David Grann, Les naufragés du Wager

Je ne prétendrai pas être la première à parler de ce formidable récit, d’autres billets l’ont déjà très bien fait depuis sa parution. David Grann a choisi de parler d’une expédition formée en 1740 par la Royal Navy, dans le but plus ou moins avoué d’aller récupérer un trésor sur un galion espagnol. Mais pour cela il faut d’abord une flotte de cinq navires armés jusqu’à ras bord de mousquets, de poudre et de canons, puis recruter des marins et des soldats, des officiers et des canonniers… Ce qui n’est pas le plus facile, la chance de se sortir d’un tel voyage ne dépassant guère une sur deux, si tout se passe bien. Pour les marins du Wager et du reste de la flottille, ce sera bien pire puisqu’on sait dès le prologue que seule une trentaine d’hommes sur les deux cent cinquante que comptait le navire sont revenus en Angleterre.
Après avoir vu l’équipage décimé par le typhus et le scorbut, contourné à grand peine le Cap Horn, et avoir perdu de vue le reste de l’escadre, le Wager fait naufrage près de la côte chilienne, dans une région rude et inhospitalière où vivent quelques autochtones. Les rescapés se réfugient sur une île, tentent d’organiser un campement, mais des clans se forment et s’affrontent, réduisant encore leurs chances de survie. Et les mois passant, les conditions vont en se dégradant, jusqu’à ce que certains d’entre eux décident de construire un navire avec les restes du Wager.

Évoquer de manière globale l’équipage du Wager n’est pas rendre justice au livre, qui dessine des personnages aussi réels que fascinants : le commandant Cheap, le jeune John Byron, le canonnier Bulkeley, entre autres.
J’ai été embarquée des le début par le style de David Grann, et me suis demandée si je pourrais lire un autre roman de navigation après cela. Réussir à rendre aussi vivante chaque manœuvre, chaque épisode, du recrutement de l’équipage aux maladies des marins, de l’ascension de la grande voile à la charge des canons, je gage que peu d’auteurs sont capables de le faire aussi bien !
Et ce n’est là que le début. Les parties concernant la survie des naufragés, le retour d’un petit nombre d’entre eux, le procès où les différentes versions s’affrontent, entre accusations de mutinerie, et dénonciation d’abandon de poste, sont tout aussi passionnantes. Ce qui tient à la masse de documentation lue et « digérée » pendant cinq ans par David Grann, et aussi et surtout à sa manière de restituer tout ce matériau historique de manière expressive et exceptionnellement captivante.
J’avais été éblouie par La note américaine, je l’ai été tout autant par Les naufragés du Wager, mais un peu moins par The white darkness, c’est bien dommage.

Les naufragés du Wager de David Grann, (The Wager, 2023), éditions du Sous-sol, août 2023, traduction de Johan-Frédérik Hel Guedj, 448 pages.

Première étape du Book-trip « en mer » orchestré par Fanja. Vous trouverez tous les renseignements ici, et d’autres lectures de ce roman, parmi d’autres évasions maritimes.

Arttu Tuominen, La revanche

Le polar nordique est une source inépuisable de découvertes, et voici cette fois la Finlande, celle d’une petite ville sur la Baltique, celle aussi d’une boîte de nuit accueillant toutes sortes de communautés. Une nuit, un engin y explose, tuant cinq personnes et faisant de nombreux blessés.
Une équipe de la brigade criminelle est chargée de l’enquête, et parmi les policiers, Henrik Oksman. Lui qui avait toujours réussi à séparer sa vie privée et son métier se trouve plongé dans un dilemme infernal. Il était en effet présent dans la boîte de nuit, et l’a quittée peu de temps avant l’explosion en compagnie d’un homme qui s’avère être connu pour son homosexualité. Connu ne voulant pas dire accepté… Le lendemain de l’attentat, un individu revendique cette attaque sur les réseaux sociaux, prétendant mener une croisade contre l’homosexualité.

Ce roman fait partie d’une série, et vient en deuxième position, ce qui ne m’a pas gênée. Les personnages principaux en sont Henrik Oksman et son collègue Jari Paloviita, qui était, semble-t-il, plus central dans le premier volume. Je le saurai bientôt puisque je me suis déjà procuré Le serment. Voilà qui vous confirme que j’ai beaucoup aimé cette lecture, aux personnages bien campés et assez complexes pour qu’on s’intéresse autant à eux qu’à la découverte du coupable.
L’histoire, bien menée, voit son suspense aller en grandissant au fil des pages, et s’attache surtout à faire entrer dans l’esprit d’Oksman, à partager ses interrogations. Devra-t-il se dévoiler, dans un pays où la différence, sa différence à lui, n’est pas si bien acceptée que l’on pourrait l’imaginer ? Le jeune policier est très touchant dans son immense désarroi.
Ce roman a reçu plusieurs prix dans le monde du polar scandinave, et c’est bien mérité !

La revanche de Arttu Tuominen, éditions La Martinière, septembre 2023, traduction de Anne Colin du Terrail, 384 pages.

Lu aussi par Eve-Yeshé